« Que je t’aime » a 50 ans
La chanson « Que je t’aime » rendue éternelle par Johnny Hallyday fête ses cinquante ans. On doit la composition de ce tube inoubliable au compositeur Jean Renard et au parolier Gilles Thibaud en 1969.
Le site Le Point a interviewé Jean Renard qui raconte la création de la chanson. Voici l’interview :
Le Point : Si on vous avait dit il y a cinquante ans qu’on vous parlerait encore de « Que je t’aime », l’auriez-vous cru ?
Jean Renard : C’est une bonne question, mais ce serait ridicule de répondre oui. On ne pense pas à ça quand on fait une chanson, ni à l’argent qu’elle pourrait nous rapporter. On compose une chanson pour un artiste, ou pour un texte. Et quand on y met tout ce qu’on sait faire avec l’artiste qu’il faut (et ce fut le cas !), ça peut marcher. Mais de là à savoir qu’on crée un standard ou que ça va passer à la postérité, on n’y pense pas.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez composé « Que je t’aime » ?
Bien sûr ! C’est une longue histoire. Un jour, Johnny me donne un paquet de textes. Il me dit : « Fox – c’est ainsi qu’il m’appelait (“Fox” en anglais signifie renard, NDLR) –, je veux que tu composes des musiques sur ces textes, mais il y en a surtout un qui m’intéresse. Tu ne peux pas te tromper, c’est celui qui parle d’amour, écrit par Gilles Thibaut. » En rentrant chez moi, je lis les textes et trouve rapidement « Ceux que l’amour a blessés ». Je suis certain qu’il s’agit de celui-là et j’écris une mélodie. Quelque temps plus tard, Johnny et moi allons au cinéma, au Rex. Nous avions une heure à perdre avant la séance, alors, on s’arrête chez moi. On boit une bière et je lui joue ma mélodie sur le texte de « Ceux que l’amour a blessés ». Johnny trouve la musique formidable, mais ce n’est pas le bon texte ! Il cherche dans le paquet et me tend « Que je t’aime », que je n’avais pas lu. Il fallait recommencer… Heureusement, Gilles Thibaut écrivait toujours en alexandrins (deux vers de six pieds), ça nous a facilité la tâche. Dans le texte d’origine, la phrase « Que je t’aime » était au début de chaque couplet, pas dans le refrain. Ça ne fonctionnait pas. On retire les « Que je t’aime » pour coller à la musique, mais nous n’avions rien pour les refrains ! Au départ, quand j’avais composé la mélodie, j’imaginais la phrase « ceux que l’amour a blessés » (en pleine interview, Jean Renard se met alors à chanter ce refrain qui n’a jamais vu le jour, NDLR) sur la mélodie de l’actuel « Que je t’aime ». Johnny décide de mettre uniquement « Que je t’aime » dans le refrain. Je lui soumets mes doutes : « Tu ne vas pas chanter “Que je t’aime, que je t’aime” vingt fois ! Il m’assure : “Si, si, c’est ça qu’il faut faire, ça va marcher.” » Et voilà comment les « Que je t’aime » se sont tous retrouvés dans le refrain.
Êtes-vous quand même allés au cinéma ?
Oui ! Tout s’est passé en une heure avant d’aller au Rex ! C’était un sauvetage, c’est assez inimaginable.
Pourquoi Johnny voulait-il à tout prix interpréter « Que je t’aime » ?
Les premiers mots de la chanson lui faisaient penser à Sylvie Vartan, c’est certain : « Quand tes cheveux s’étalent/Comme un soleil d’été/Et que ton oreiller/ressemble aux champs de blé. » On parle bien des cheveux blonds de Sylvie, que Johnny commençait déjà à délaisser. Et puis « Que je t’aime » est une chanson pleine de vérité, celle de la chanson populaire, et Johnny a toujours compris cela. Pendant dix-sept ans, je lui ai toujours proposé des mélodies dans ce sens. « Que je t’aime » correspond au costume de Johnny Hallyday, comme un habit de vedette créé par Yves Saint-Laurent.
En 1969, Johnny est plus influencé par le British blues et chante « Rivière… ouvre ton lit » et « Voyage au pays des vivants ». « Que je t’aime » le recentre vers la grande chanson française…
Johnny se savait à la croisée des chemins, il sentait qu’il était à l’aube de produire quelque chose qui différait de l’époque yé-yé, de l’idole des jeunes et des chansons d’Aznavour. Les Beatles émergeaient, Presley était toujours là, et de nouveaux groupes arrivaient de toutes parts, de Belgique, des Pays-Bas, ou encore Prince et Stevie Wonder… Mais Johnny est resté fidèle à son idée, comme tout au long de sa vie : être un vrai artiste. Être Johnny. Il n’a jamais changé d’un iota ! Il a fabriqué son personnage de Johnny Hallyday, a transformé sa voix. Il est quand même passé de la voix fluette de « L’Idole des jeunes » à « Allumer le feu » ! (Jean Renard se remet à chanter, imitant les différentes voix de Johnny, NDLR). C’était l’enfant de chœur de l’école primaire qui a pris la voix placée du ténor – voire du baryton – d’opéra. Et Johnny n’a pas eu besoin de travailler ni de polir cette voix. Il avait les cordes vocales qu’il fallait. Notre travail sur « Que je t’aime » a été l’élément déclencheur, c’est l’une des chansons qui le représente le mieux, lui et sa carrière. Ensuite, on évoluera quelque temps dans ce registre, notamment avec la chanson « Je t’aime, je t’aime, je t’aime » qu’on a enregistrée dans les catacombes de la basilique du Sacré-Cœur à Rome, transformées en studio par Ennio Morricone.
Certaines paroles de « Que je t’aime » sont très crues : « Quand mon corps sur ton corps/Lourd comme un cheval mort/Ne sait pas, ne sait plus/S’il existe encore ». Peu d’artistes auraient osé chanter ça…
Johnny a assumé ce côté osé, cela faisait partie de sa stratégie. Il se disait : « Ma voix change, ma vie change, et moi, je vais devenir ça. » Et ce « ça », c’était chanter devant 80 000 personnes au Stade de France ! Et il l’a fait. Et puis il avait un grand respect pour les auteurs, en particulier pour Gilles Thibaut, qui était un écorché vif et n’aurait pas supporté que Johnny change une phrase. Johnny le savait.
Comment avez-vous trouvé le désormais célèbre thème de « Que je t’aime » ?
J’ai composé une cinquantaine de tubes (Dallas, Amour, Gloire et Beauté…), c’est impossible de vous expliquer. C’est un don, pas un métier. C’est une question d’adaptation immédiate sur le costume que doit porter l’artiste. S’il existait une recette, tout le monde serait milliardaire ! Mais quand on est compositeur, on se moque des sous. Demandez à Mozart ce qu’il en pense… Il ne faut pas demander à un compositeur comment on fait un tube. Dans 150 ans, on nous chantera peut-être encore, si on a la chance d’avoir créé quelque chose qui dure, comme un opéra rock ou un Johnny Hallyday. On écoutera toujours Johnny, il est toujours vivant, toujours là.
En 1987, Michel Berger a donné une seconde vie à « Que je t’aime » en adaptant les arrangements de la chanson pour le spectacle de Johnny à Bercy. Aviez-vous aimé cette nouvelle version ?
Oui, beaucoup ! « Que je t’aime » se prête à tous les arrangements du monde. Cela peut faire sourire, mais j’en ai entendu des versions extraordinaires au Brésil. Michel Berger avait compris qu’il fallait réintégrer « Que je t’aime » au tour de chant de Johnny. Yvan Cassar aussi a magnifié cette chanson. Lorsque Johnny entre au Parc des princes en chantant « Que je t’aime », sur un élévateur à 60 mètres de hauteur, c’est grandiose.
Johnny n’avait même plus besoin de chanter, chaque personne du public connaissait les paroles par cœur…
« Que je t’aime » est impérissable. C’est comme une racine que l’on coupe et qui repousse à l’infini. La racine est tellement puissante, grâce à l’interprétation, la mélodie et le texte. Gilles Thibaut a écrit « Que je t’aime » en une nuit, perdu dans ses élucubrations d’écorché vif. Tout ce qu’il écrivait était imparable, avec une tendresse insoupçonnée.
« Que je t’aime » a été numéro un des ventes en Italie (Quanto t’amo), et Johnny l’a même interprétée en… japonais !
Je dois dire que j’en suis assez fier ! Je possède toutes ces versions étrangères dans ma collection.
La première fois que Johnny a chanté son tube, c’était sur Europe 1, le 20 avril 1969… (cette version sera commercialisée pour la première fois le 9 septembre 2019, voir ci-dessous).
Je m’en souviens parfaitement. Johnny, qui venait de se lever, m’appelle : « Fox, viens avec moi à Europe, on tourne une émission. » Je vais le chercher en voiture, mais on ne sait pas du tout ce qu’on va chanter. Le présentateur demande à Johnny s’il a des nouveautés. C’était quelques jours après la fameuse soirée chez moi avant le Rex. Johnny demande s’il y a un piano et suggère de chanter « Que je t’aime », même si on ne l’a pas répétée. Heureusement, je conservais toujours tous les textes dans ma mallette. Et on a joué « Que je t’aime » en direct ! D’ailleurs, si vous écoutez cette version, on remarque la voix fluette de Johnny, comme dans « L’Idole des jeunes ». Cela n’a plus rien à voir avec la voix qu’il aura après !
Ensuite, « Que je t’aime » connaît son premier succès lors du grand spectacle au Palais des sports et vous l’enregistrez dans la foulée pour sortir un 45 tours.
On a enregistré dans l’urgence ! Maritie Carpentier voulait absolument l’enregistrement pour son émission. J’ai appelé Jean-Claude Vannier pour avoir un orchestre. En trois heures, on a enregistré au studio CBE avec les violons de l’Opéra et la garde républicaine, et André Ceccarelli pour la rythmique. Je pensais que ce serait seulement une maquette. Johnny devait poser sa voix à minuit, il est arrivé à 1 h 30 du matin, puis est tombé dans les pommes après le premier couplet ! Je suis allé chercher une éponge pour lui mettre un petit coup sur le visage, et il a enregistré la suite. Le lendemain, on a aussi mixé en urgence. Et finalement, c’est sorti comme ça ! Maritie Carpentier ne voulait pas des titres rock’n’roll enregistrés par Johnny à Londres, elle voulait « Que je t’aime ».
Pour l’occasion, un vinyle en tirage limité et numéroté est sorti récemment. Vous pouvez vous le procurer en CLIQUANT ICI ou sur l’image ci-dessous.