Johnny Hallyday, son portrait dans Libération – Next 12 octobre 2011

Johnny Hallyday Next Libération

Johnny Hallyday dans Libération (NEXT)Johnny Hallyday habille les pages du supplément de Libération « Next« . La journaliste Marie-Dominique Lelièvre réussit là une belle interview à découvrir en intégralité ci-dessous.

Une interview de Johnny Hallyday, deux mois d’attente. Il y a l’attachée de presse de la pièce que Johnny joue au théâtre Edouard-VII, la dame chargée de l’image de Johnny, la manageuse de Johnny et tout ça chicane sec en coulisses tandis que Johnny, à Saint-Barth, apprend son texte.

Finalement, un vendredi d’automne à 18 h 30 la porte s’ouvre sur un écrin rouge de la taille d’une roulotte pourvue d’un unique canapé léopard. Où m’asseoir ? Dans le léopard. «Nous ne nous sommes jamais rencontrés», dit Johnny. Des yeux indigo me passent au détecteur. Si, on s’est déjà vu. Au casino de Saint-Malo, j’avais 10 ans, mon père a forcé les barrages pour faire signer le disque dans sa loge. «Ça fait longtemps que je fais plus les casinos», répond Johnny, plus racé en vrai qu’à la télévision. Un calife gitan.

Je viens de réécouter Rivière… ouvre ton lit. Johnny dit qu’il ne peut pas se souvenir de tout ce qu’il a fait. Je le rafraîchis. Sur cet album de 1969, il est accompagné par Jimmy Page et Steve Marriott, le guitariste des Small Faces qui compose une partie des chansons. L’autre partie est de Johnny lui-même, avec des paroles de son ami Long Chris. Je suis né dans la rue, Voyage au pays des vivants. Avec sa voix somptueuse de bluesman et ses musiciens ultrastylés, non seulement, il est alors le passeur en France du rock anglo-saxon, mais un accélérateur de particules rares. De même, Hendrix lui doit les premiers concerts du Jimi Hendrix Experience, dont la première partie de Johnny à l’Olympia en octobre 1966. «Dans une boîte, à Londres, il m’avait impressionné.»

Johnny allume une Gitane sans filtre qu’il fume tout en conservant paquet et briquet dans une paume repliée. Comme tout timide, il est intimidant. «La guitare est mon instrument préféré. Je m’accompagne sans être virtuose. Aussi, j’ai toujours été attentif aux bons solistes. Les guitars heros.» Les siens ?«Hendrix, bien sûr. Keith Richards, Clapton. En France, Bertignac ou Yarol Poupaud qui maintenant joue avec moi.»Qu’est-ce qu’il écoute, en ce moment ? «Des classiques : les Stones, les Beatles, Clapton, Lenny Kravitz… La musique, j’en fais, alors j’en écoute peu.» Du coup, je n’ose plus le questionner sur ses joyaux, Jeune HommeRêve et Amour ou le baroqueHamlet. Le favori de Johnny, c’est Rock’n’roll Attitude, taillé sur mesure par Berger. Si Johnny est un des plus célèbres Français, son œuvre est plutôt méconnue et il ne fait rien pour la faire découvrir.

Ce qui lui fait plaisir, c’est parler de cinéma. Tous les nouveaux DVD, il les visionne chez lui, à Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine). «Je me suis fait une salle de cinéma.» Ses bras tatoués dessus dessous s’écartent comme s’il déroulait un grand écran.«J’ai une passion pour Kazan. Un homme dans la foule, par exemple, tourné avec des acteurs peu connus. L’histoire d’un gars en prison qui tombe sur une journaliste.» Il raconte le film dans une langue parfaite, sujet-verbe-complément. «Le gars devient une vedette et se présente aux élections.» Il allume une nouvelle Gitane filtre, et toussote. «La dernière scène est magnifique. Il a organisé un banquet somptueux. Devant lui, une salle vide. Il est tout seul tellement il a été arrogant. La journaliste revient. Avant de l’abandonner pour toujours, elle branche la boîte à applaudissements.» Johnny a pris les choses en mains. C’est lui qui conduit l’interview. «Quand je regarde un film, je m’évade. J’oublie tout. Les livres, c’est autre chose. On ne vous impose pas le héros, comme au cinéma. Je lis peu. Des romans américains, la plupart du temps. Steinbeck, David Goodis. Je m’étais lancé dans Kafka. Au départ, je comprenais rien. J’ai persisté. La Métamorphose, ça va, mais le Château, c’est très difficile. Je l’ai fini, pourtant, et même relu. Un livre formidable même si la première lecture est compliquée.»Qu’est-ce qui lui a pris de lire Kafka ? «Cette littérature est tellement éloignée de moi. J’ai voulu connaître ça, c’est assez passionnant. J’aime bien m’intéresser aux choses loin de moi pour comprendre pourquoi elles le sont.» C’est comme en cuisine, ajoute-t-il : les gens qui disent «j’aime pas» alors qu’ils n’ont même pas goûté.

Lui, il est gourmand même s’il fait gaffe. Son plat favori, le Shepherd’s Pie. «Un hachis Parmentier anglais avec des oignons, des carottes et du tabasco. Ma femme le fait très bien. Elle cuisine admirablement. Sans gras.» Elle est en photo partout, Laetitia, sa femme. Pas moins d’une demi-douzaine de clichés encadrés, plus le dessin d’enfant sur la cloison. «La gastronomie, c’est sa passion. Comme je connais tous les grands chefs, elle a pris des cours avec eux.» La star et la chef étoilée.«Pour un de mes anniversaires, elle a entièrement préparé un menu japonais pour quatre-vingts personnes. Deux mille sushis. Avant, elle avait fait un stage au Japon

Une journée de Johnny, lorsqu’il ne travaille pas, c’est une heure, une heure trente de sport dans la salle de muscu : vélo, poids et haltères, abdos. Déjeuner. Film. «Quand je travaille pas, je m’ennuie. Le théâtre, je ne connaissais pas. J’ai accepté à cause de Tennessee Williams. C’est pas la même fatigue qu’en concert : plus cérébral, moins physique. Un exercice de concentration. La salle est différente chaque soir. En concert, le public crie toujours au même moment.» Il rallume une clope et garde les Gitanes dans la main comme un doudou. «J’ai fait huit ans de danse classique, de 6 à 14 ans.» Petite toux. «J’ai même dansé avec Serge Lifar à l’Opéra. Ma tante Desta [en fait sa cousine] y avait été danseuse. Je travaillais sept heures par jour, en plus d’un professeur russe à Pigalle, Mme Hegorova.» A 14 ans, il a laissé tomber, il y avait trop d’homosexuels à son goût. «Il y a eu James Dean, Brando. Je jouais les blousons noirs.» Il se lève, esquisse quelques pas ailés. Ses shoes, une paire de derbies de Mod’s superélégantes, il ne sait plus d’où elles viennent. «Quand j’étais petit, à cause de la danse je marchais les pieds en dehors.» Si sur scène il semble massif, en réalité ses gestes sont déliés. «La danse m’a appris une gestuelle, l’élégance du mouvement, la respiration aussi. Pour évoluer sur une scène, ça m’a beaucoup aidé. C’est marrant, j’ai jamais parlé de cette période à l’Opéra.» Pourquoi ? «J’ai quelques petits jardins secrets», dit-il, malicieux. Desta est morte cet été.

Entre 1945 et 1949, le jeune Jean-Philippe Smet a vécu avec ses deux cousines Desta et Menen à Londres, où elles avaient un numéro de danseuses. Puis Desta a épousé Lee, chanteur et comédien américain, et le jeune garçon a suivi leur duo de music-hall, les Hallyday’s, à travers toute l’Europe. «A 12 ans, j’ai touché mon premier cachet. Un Coca-Cola et un paquet de frites.» Dehors, les gens attendent Johnny. Ce qu’ils aiment chez lui : un bosseur comme eux, qui mène la vie qu’ils aimeraient mener, bagnoles, filles, maisons, motos. Je rentre chez moi regarder ce film, Un homme dans la foule. Ça m’a l’air drôlement bien.

Lien vers l’article : next.liberation.fr

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